JE PARDONNE A MON ENFANT INTERIEUR
Toute une partie de l’enfance se construira en relation directe avec des actes, des décisions, des comportements qui s’inscrivent comme des contraintes, des frustrations ou même comme des menaces et des agressions, ou qui au contraire sont reçus comme des gratifications et des bienfaits et nous confirment dans le bien-être d’exister en nous permettant d’accéder à plus d’autonomie, de liberté, de rayonnement, d’amour.
Nous pouvons ainsi mieux entendre l’habileté et l’inventivité tous azimuts avec lesquelles certains d’entre nous allons accuser, mettre en cause, culpabiliser l’autre, bref le rendre responsable de notre souffrance, sans faire l’effort de nous responsabiliser à partir de notre propre ressenti : »C’est bien moi qui ai vécu ce geste, cette parole, ce comportement comme dévalorisant ou disqualifiant ». Ce processus semble d’ailleurs constituer un enjeu aux variations infinies dans les relations proches.
Tout se passe comme si cette « habitude relationnelle » nous autorisait en tout bien tout honneur à ne rien faire à notre bout de relation et à penser que c’est à l’autre d’agir autrement à son bout de relation ou à son niveau à lui, et cela bien sûr dans le sens de nos intérêts.
Le plaisir de l’accusation ou du reproche ainsi que le fait de se poser en victime – qui donnent parfois à celui qui l’adopte ou s’y complaît le sentiment d’exister ou celui d’un certain mérite - ne favorisent pourtant ni la responsabilisation ni la lucidité qui permettraient de déposer plus rapidement la charge de ses souffrances, de lâcher prise sur des ressentiments, des amertumes et des rancoeurs. Et également de ne plus entretenir l’auto violence à base de ruminations et de reproches sans fin portés sur les uns ou sur les autres.
Malheureusement, ce système de dépendance implicite est bien rodé dans notre culture, entretenu par certaines croyances éducatives. Si l’autre nous aime, s’il nous veut du bien, s’il se prétend notre ami, alors il doit répondre à nos attentes, à nos besoins, il doit satisfaire nos demandes. S’il n’y répond pas, nous nous prétendons sa victime malheureuse, incomprise, blessée : nous en faisons le mauvais, le persécuteur. Ainsi pouvons-nous entretenir sans fin ressentiments, accusations, reproches et rejets de l’autre. (…)
Il est prolongé par toute une mythologie autour du pardon : « je te pardonne le mal que tu m’as fait. » La victime, transformée en accusateur magnanime, se donne le beau rôle d’offrir un quitus au bourreau et à l’accusé… » du mal qu’il lui a fait ». Elle oublie dans ce cas qu’elle « conserve » néanmoins en elle la violence reçue, que son corps et son psychisme en gardent la trace et les séquelles.
Le pardon, dans ses effets immédiats, est assimilable à un baume adoucissant déposé en compresse sur l’irritation ou l’inflammation d’une blessure.
Quand nous avons pardonné, nous éprouvons le sentiment d’un mieux-être, d’un soulagement. Nous sentons moins de ressentiment en nous, nous constations un apaisement, moins de ruminations. La relation avec celui qui nous avait blessé semble plus apaisée, moins tendue, plus ouverte, mais la violence reçue est toujours là. Une violence peut sembler s’évaporer dans un pardon, la blessure parait endormie, mais elle reste néanmoins telle quelle, tapie au plus profond de nous, et elle n’est pas cicatrisée pour autant. Elle se réactivera d’ailleurs au moindre incident.
Ce qu’il faudrait apprendre à pardonner, c’est nous-même, pour toute l’auto violence entretenue par nos conduites, parfois durant des décennies. Il serait possible de s’entendre dire ou énoncer :
Je pardonne au petit garçon (à la petite fille) que j’étais d’avoir nourri et entretenu pendant vingt ans la haine que j’avais contre ce père qui buvait.
Je me pardonne d’avoir empoissonné tant de journées et de soirées à remâcher sans cesse l’humiliation d’avoir été violenté quand j’avais quinze ans…
Jacques Salomé "le courage d'être soi"