LE CONTE DE MISS BOBO

18/06/2013 09:39

Pour capter l’attention d’un être aimé, nous sommes capables de prendre beaucoup de risques. Et surtout celui de maltraiter notre corps !

Il était une fois une petite filles très espiègle, mais délurée et très vivante, que tout le monde dans sa famille appelait Miss Bobo.

Non, non, ce n’est pas ce que vous croyez, n’allez pas penser qu’elle se plaignait d’avoir mal ici ou là, ou qu’elle était toujours malade ou encore souffrante pour un rien ! Pas du tout, elle était alerte, solide sur ses deux jambes, pleine de vitalité, mais il lui arrivait toujours quelque chose : un coup, un choc, une chute, un jouet qui venait brutalement à sa rencontre. Je dois vous dire aussi qu’elle cassait plein d’autres choses auxquelles sa mère tenait.

C’était un peu sa spécialité. Les objets avaient du mal à résister à sa façon de les toucher ou de simplement les déplacer.
Elle était souvent pleine de bleus, d’égratignures, de petites écorchures. Comme si le monde qui l’entourait était trop petit, trop étroit, mal adapté à son corps d’enfant toujours en mouvement, plein d’élans, sautillant, agité de désirs imprévisibles, sollicité par tant d’appels invisibles, emporté par un courant d’énergie extraordinaire. On ne pouvait quand même pas demander à l’univers de se tenir tranquille quand Miss Bobo arrivait quelque part !

Evidemment tout cela inquiétait ses parents, surtout sa mère qui aurait voulu aplanir, arrondir, organiser, niveler toutes les aspérités de la vie, pour éviter à sa fille tous les bobos qui se déposaient sur elle avec tant de bonne volonté et de plaisir.

Cette petite fille n’aimait pas beaucoup qu’on l’appelle Miss Bobo. Comme si c’était elle qui recherchait tous les coups qui lui tombaient dessus. Elle aurait préféré qu’on la reconnaisse comme Miss Cœur Aimant ou Miss Tendresse.

Ce qu’elle recherchait avant tout, c’était le contact. Elle avait beaucoup de plaisir à toucher, à caresser, un grand besoin d’apprivoiser. Tout à l’intérieur d’elle, elle avait d’ailleurs le sentiment que sa mère était intouchable, trop parfaite, inaccessible. Mais cela, pour rien au monde elle n’aurait pu le dire.

Ah ! se blottir contre elle, monter sur ses genoux, mettre son nez tout au creux de sa poitrine, fermer les yeux, se laisser porter ! Elle aurait tant voulu que sa mère, toujours occupée, arrête de faire ce qu’elle faisait, libère ses mains et aussi sa tête et lui dise enfin : « Viens, viens contre moi… »

Oh oui ! sentir l’odeur, la chaleur, la palpitation du cœur de sa maman, se laisser aller, confiante, tout contre elle. N’avoir rien à demander et sentir qu’on est entendue, accueillie, acceptée. Qu’on a enfin une place à soi et surtout qu’on ne dérange personne en osant la prendre. Alors plus besoin de casser, de se cogner, de se faire mal aux aspérités du monde !

Je ne sais si l’attente de Miss Bobo sera entendue. Je l’espère de tout cœur.

Jacques Salomé "contes à aimer, contes à s'aimer"