NULLE PART AILLEURS (suite)

02/08/2013 19:01

Voilà donc le chemin sur lequel vous vous trouvez, ici et maintenant. Ici, c’est vraiment ma place, ma relation, mon dilemme, mon travail. Le défi de la pleine conscience est de travailler avec les circonstances auxquelles on se trouve confronté – peu importe combien ça semble désagréable, décourageant, sans fin et bloqué – et de s’assurer que l’on a tout fait pour se transformer avant de décider d’arrêter les frais et de voir ailleurs. C’est ici que le véritable travail commence.

Donc, quand vous croyez que votre pratique est monotone et nulle, et que votre environnement n’est pas bon, vous pensez tout naturellement que si vous viviez dans une grotte dans l’Himalaya, ou dans un monastère en Asie, ou encore sur une plage tropicale, les choses iraient mieux (…) Au bout d’une demi-heure dans votre grotte, vous vous sentirez peut-être seul, la lumière vous manquera ou de l’eau coulera goutte à goutte du plafond ; sur la plage il fera peut-être froid et pluvieux ; au monastère, vous n’aimerez peut-être pas le maître, ni la nourriture, ni la chambre. Il y aura toujours quelque chose qui vous déplaira. Alors pourquoi ne pas lâcher prise et admettre que vous êtes chez vous n’importe où ? A ce moment-là, vous serez en contact avec le centre de vous-même et vous inviterez la pleine conscience à y pénétrer et à prendre soin de vous. C’est seulement lorsque vous aurez compris cela, que la grotte, le monastère, la plage, le centre de retraite vous livreront leurs vraies richesses. Il en ira de même pour les autres moments et les autres lieux.

(…) Je découvre que je suis souvent motivé par mon besoin d’être ailleurs ou par le prochain évènement qui, selon moi, devrait se passer. Quand je me surprends à monter l’escalier quatre à quatre, il m’arrive d’avoir la présence d’esprit de m’arrêter en plein vol. J’ai conscience d’être légèrement essoufflé, que  mon cœur bat la chamade ainsi que mon esprit, que toute ma personne, enfin, est habitée par une hâte dont j’ai souvent oublié l’objet, une fois arrivé en haut.

Quand je peux capter consciemment cette vague d’énergie pendant que je suis encore au pied de l’escalier, je ralentis l’allure – pas seulement une marche à la fois, mais vraiment lentement, en rythmant mon souffle à chaque pas, me souvenant qu’il n’y a nul lieu où je doive me rendre, nulle chose que j’aie à faire, qui ne puissent attendre un moment de plus, pourvu que j’y sois pleinement présent.

Je m’aperçois que lorsque j’agis ainsi, je suis plus en contact avec moi-même en chemin et plus centré, arrivé en haut. Si l’urgence extérieure existe rarement, il y a toujours une urgence intérieure, habituellement provoquée par l’impatience et une forme inconsciente d’anxiété – dont le processus est parfois si subtil que je dois écouter avec attention pour l’entendre, ou si violent, que pratiquement rien ne peut arrêter son élan. Cependant, la conscience de cette turbulence intérieure m’aide à ne pas m’y perdre à ces moments-là.

Jon Kabat-Zinn « Où tu vas, tu es »