SIMPLEMENT HEUREUX

10/07/2013 10:04

Dans cette optique fort préoccupée par le faire plutôt que par l’être, le bonheur est comme interdit, trop suspect d’abandon, de laisser-aller : « Tu ne peux pas être heureux, tu cesserais d’être vigilant, attentif, travailleur, performant ! ». Dans cette optique, également fort préoccupée de ce que tout s’obtienne dans l’effort, la peine et le mérite, le bonheur est suspect de contentement, de satisfaction, voire de narcissisme ou d’égocentrisme, quand ce n’est pas de « déconnexion » de la réalité : « Tu ne peux pas être heureux de ce qui est réalisé puisqu’il reste tant à accomplir », « Tu ne peux pas être heureux de ce que tu vis puisqu’il y a, au même moment, tant d’êtres malheureux de ce qu’ils vivent », « Tu ne peux pas être heureux, tu cesserais d’être généreux, ouvert aux autres, conscient des enjeux du monde ».

La confusion des sentiments et des valeurs, qui se manifeste souvent par la culpabilité, vient ainsi corrompre les moments qui pourraient être pleinement consacrés à la joie. (...)

L’idée de se réjouir, à fortiori d’être heureux sur cette planète, est suspecte de matérialisme, de fuite ou d’aveuglement. Dans certains milieux intellectuels, culturels ou politiques – particulièrement durant les années 1960 (je pense à Sartre), mais c’est toujours vrai aujourd’hui – un être heureux est soit un con, soit un égoïste, ou encore les deux ! Pensez à Bourvil, ce merveilleux acteur qui jouait si souvent et avec tant de cœur des rôles d’imbécile heureux et voyez comme la pensée binaire est piégeante. Si je caricature un peu: soit on est intelligent donc hyperactif, catégorique, voire méchant, plein de soucis et dormant mal ; soit on est heureux et forcément égoïste ou idiot, inconscient ou simplet, en tout cas pas dans la réalité, et bien sûr alors on dort bien…

De cette habitude de penser naît la peur d’être heureux et de le montrer « Que va-t-on dire de moi si je me montre heureux ? Je serai soit jalousé, soit rejeté … Mieux vaut me trouver un petit malheur à exploiter, à faire mousser, pour être comme tout le monde et ne pas déranger ! » J’ai ainsi rencontré des personnes heureuses dans leur cœur mais qui n’osaient pas le montrer de peur de paraître idiotes, égoïstes ou déconnectées de la réalité. 

Thomas d’Ansembourg "ETRE HEUREUX, ce n’est pas nécessairement confortable "