VOIR L'AUTRE ET NE PAS JUGER
- (…) Tu es victime d’une injustice et tu exiges un aveu, des excuses, voire une réparation. Dans ce cas de figure, ton opposant est par la force des choses invité à se défendre. Joanna, tu pars en guerre. Tu choisis le combat, la violence, la souffrance. Est-ce cela que tu veux ?
- Quelle est l’alternative ?
- L’alternative est dans l’attitude qui regarde, qui voit ce qui est, sans aucun jugement. Vois ce qui est ressenti, vois ce qui est jugement, et surtout VOIS l’autre, rencontre le vraiment. Demande-lui : « Que s’est-il passé ? Que ressens-tu, que veux-tu exactement ? Quel est ton besoin ? Quelle est ta réalité ?...Lorsqu’il aura perçu ton attitude ouverte, il sera bien davantage disposé à entendre ton ressenti, ton besoin et ta demande.
- (…) Si on est toujours dans le non-jugement, n’y a-t-il pas un risque de n’être plus qu’un mouton dans un troupeau ? Un autre professeur nous disait : soyez critiques ! Pensez par vous-même !
- Merci Joëlle, c’est une question très pertinente. Elle relève encore une fois d’une distinction à faire. Le non-jugement signifie-t-il que vous allez « acheter » tout ce qu’on vous dit ? Y a-t-il moyen de dire « non » sans juger ? Imagine, Joëlle, que tu sois mère d’un petit garçon qui veut apprendre à rouler en vélo. Il n’est vraiment pas doué. Il n’y arrive pas. Quelle est ton attitude ?
- Je serais patiente. Je lui dirais de persévérer, je l’encouragerais …
- Super. Tu n’aurais aucune difficulté à lui dire « Non, pas comme ça, ce n’est pas la bonne manière… » Il ne se sentirait pas culpabilisé de faire des erreurs. Et plus tard lorsqu’il aura des difficultés à l’école ou dans sa vie sentimentale, tu pourras l’aider à y voir plus clair, à éviter de faire des erreurs, à condition que tu saches comment le lui exprimer sans le culpabiliser, sans renoncer à l’encourager … Le non-jugement n’a rien à voir avec une attitude laxiste qui se désintéresserait de tout ou dirait oui pour n’importe quoi. Le non-jugement est un choix d’attitude qui implique au contraire de voir les choses telles qu’elles sont, et en même temps qui n’impose rien, qui reflète, qui parle pour soi-même et non pour l’autre. Le non-jugement est par excellence le langage de l’autonomie, mais aussi de la non-pression, de la non-violence. Il n’empêche aucunement le discernement, la lucidité, l’appréciation juste des choses. Apprécier correctement ce que vous observez relève du regard clair, non biaisé par les croyances et les projections. A l’opposé de JUGER, nous avons VOIR.
(…) Explorons différentes manières d’éviter le jugement et d’adopter des attitudes ouvertes et créatives :
jugement : « ceci est ridicule »
attitude ouverte : « je ne me sens pas à l’aise avec ceci »
jugement : « je ne me sens pas respectée »
attitude ouverte : « cette situation ne me convient pas »
jugement : « je ne te fais pas confiance »
attitude ouverte : « je ne me sens pas en confiance »
jugement : « je ne te crois pas »
attitude ouverte : « me dis-tu la vérité ? »
jugement : « je me sens trahie »
attitude ouverte : « cela me fait mal »
jugement : « je me sens accusée »
attitude ouverte : « je me sens coupable »
jugement : « tu me juges »
attitude ouverte : « que ressens-tu exactement ? »
jugement : « je sens que tu ne m’aimes pas »
attitude ouverte : « je me sens frustrée dans mon besoin d’attention et d’amour »
jugement : « je me sens humiliée »
attitude ouverte : « mon image de moi en prend un coup »
jugement : « je me sens piégée »
attitude ouverte : « je me sens victime et impuissante »
jugement : « je me sens stupide »
attitude ouverte : « je ne parviens pas à avoir de l’estime pour moi-même dans cette situation »
jugement : « je sens qu’on profite de moi »
attitude ouverte : « cette situation me fait prendre conscience de ma difficulté à dire non »
jugement : « j’en ai marre de toi »
attitude ouverte : « je sens que je deviens moins tolérant, moins patient, plus irritable … »
Michel CLAEYS BOUUAERT « Pratique de l’éducation émotionnelle »